Texte trouvé sur le blog de Jean Lessart:
Suite à un sondage effectué sur ma page Facebook, où je demandais ceci:
Nommez deux comportements qu’un chien peut produire lorsqu’on le définit comme «dominant», j’ai reçu un peu plus d’une centaine de réponses relatant des comportements différents que l’on associe à une soi-disant domination. En voici quelques-unes:
- Tête et queue droite
- Queue surélevée, projection de son corps et les pattes bien plantées
- Bombe le torse
- Contrôlant
- Se gonfle (élargir son poitrail)
- Manquer d’encadrement
- Manquer d’éducation
- Marquer son territoire
- Marquer son territoire partout
- Regard fixe et confiant
- Agressivité
- Chien roi
- Reste sur place en fixant le vide
- Vole sa nourriture
- Grimpe
- Indifférent
- Jaloux
- Agressif ou protecteur
- Possessif avec ses jouets
- Grogner pour avoir quelque-chose de son maitre
- Grogner pour montrer qu’il est là
- Grogner lorsqu’on lui demande de lâcher un jouet par exemple
- Gronde et montre ses dents quand on lui donne demande quelque chose
- Grogner si on s’approche du fauteuil où il est assis
- Grogner lorsqu’on lui enlève son os
- Mordre
- Suivre l’ordre demandé tout en grognant et/ou mordant dans le vide
- Montre les dents
- Mordre et grogner
- Ne pas toujours écouter du 1er coup pour voir si le maître va changer d’idée
- Ne veut pas écouter les ordres de son maître
- Il tient tête a nos décisions
- Il rouspète quand on le met sur son tapis
- Ignore les rappels
- Peut vous affronter en vous regardant dans les yeux
- Hausse légèrement les babines
- Physiquement au-dessus de moi, ex: je suis assise sur le divan et lui a les pattes sur le bras du divan
- Prendre notre place soit sur le sofa ou le lit
- Bouscule pour passer la porte le premier
- Passe toujours en premier
- Marche toujours devant son maître
- Barrer la route à quiconque
- Tasse les autres pour obtenir toutes les caresses
- Se couche la tête sur l’oreiller du conjoint quand il n’est pas là
- Uriner sur les chaussures du dominant dans la maison
- Uriner sur son nouveau maître pour faire comprendre qu’il est sa possession
- Pendant une marche en laisse, tourne la tête vers les distractions
- N’écoute pas pendant une réprimande, ex; coup de choke parce qu’il marche trop en avant de l’humain
- Se frotte le derrière contre nous
- Grimper sur un autre chien
- Sauter sur un gros chien
- Se mettre entre l’humain et l’autre chien
- Agressif ou protecteur
- Empêcher un autre chien de manger dans son bol
- Fixer les chiens qu’il rencontre afin que ceux-ci se soumettent
- Se mettre la tête / le museau sur le dessus du cou d’un autre chien
- Vouloir toujours manger avant l’autre
- Repousser l’autre animal s’il a l’attention d’un humain
- Ligne de poils sur le dos face à un autre chien
- Monter les autres chiens femelles ou mâles
- Monter un chien qui est sur son territoire
- Met la patte sur les autres chiens pour les mettre a terre
- Grogne à l’autre chien en mangeant
- Pour la femelle, refuser d’être accouplée
- Hausse légèrement les babines
Vous comprendrez alors que lorsqu’on me dit: «mon chien est dominant», je ne sais absolument pas ce que cela veut dire !
Le mot «dominance» est une étiquette qui peut signifier tellement de choses différentes. Et ceci peut devenir tellement dangereux. Une étiquette n’est qu’une idée floue qui ne repose sur rien de tangible. C’est une interprétation. Celle-ci peut excuser que nous devions nous défaire de l’animal, peut excuser la mise à mort. Elle nuit aux stratégies efficaces de modification comportementale en prêtant à l’animal des intentions qui ne sont pas vérifiables. Cela fait naître une impression de compréhension de la situation et nous empêche de rechercher réellement la cause de tel ou tel comportement. Par exemple: il passe la porte le premier; on dit qu’il est dominant. Si je recherche réellement la cause, je trouverai les éléments qui ont renforcé ce comportement: l’odeur extérieure, le besoin de vider sa vessie, l’envie de rencontrer les chiens voisins, l’envie de courir, etc. Plein de choses peuvent avoir renforcé le comportement au préalable et c’est pourquoi le chien reproduit ce comportement. Sauf que maintenant, nous ne voulons plus qu’il le fasse et le trouvons dominant d’agir de la sorte. Présentez-lui simplement l’occasion d’être fortement récompensé pour un comportement contraire et vous serez sur la bonne voie pour modifier le comportement sans devoir vous confronter aucunement à son soi-disant désir de vous dominer.
D’où nous vient cette idée que le chien aurait comme projet de nous dominer et que pour l’éduquer nous devrions lui enseigner que NOUS sommes le dominant, le mâle Alpha ?
Dans le documentaire sur le sujet de la dominance «Tough Love», Alexandra Horowitz raconte que c’est R. Schenkel, en 1946, qui a étudié des loups en captivité et élaboré ces hypothèses de hiérarchie de dominance. Le problème, c’est que nous avons pensé que ce schéma fonctionnait aussi pour les loups libres, or ce n’est pas le cas. Les loups libres vivent en famille; pas en meute. Le parents sont responsables de l’éducation des rejetons et n’ont jamais à établir leur supériorité; elle est implicite: les jeunes respectent les adultes. Ils quittent aussi la famille dès la puberté afin de créer leur propres familles. Ils évitent ainsi les confrontations qui pourraient avoir lieu dans un groupe maintenu ensemble artificiellement. Le Dr David L. Mech, celui-là même qui a défini le concept du mâle Alpha se rétracte aujourd’hui relatant ces mêmes raisons: «nous avons étudié des loups en captivité, non apparentés, forcés d’être ensemble. Inévitablement, il y a eu beaucoup de bagarres. Et nous avons émis l’hypothèse de la hiérarchie de dominance avec le mâle Alpha tout en haut.»
Plus récemment, pas moins de vingt-trois experts des loups en Europe et en Amérique du Nord ont collaboré à l’ouvrage «Wolves: Behavior, Ecology, and Conservation». Ce livre a été écrit sous la direction, entre autres, de Dr Mech. Il est particulièrement intéressant de voir que le mot «alpha» n’est utilisé que 6 fois tout au long des 448 pages et chaque fois c’est pour mentionner que le terme est dépassé. Voici quelques faits rapportés par ces scientifiques:
-les seules prérogatives des individus dominants sont le territoire (s’il est riche), la nourriture (si elle est rare) et la sexualité (pour assurer la survie de l’espèce);
-les comportements de meute ne sont pas innés;
-il en est de même des comportements de protection des ressources (territoire, nourriture, partenaire sexuel), qui sont des comportements qui doivent s’apprendre; ils ne sont pas héréditaires;
-les loups sont des animaux sociaux de type coopératifs; ils travaillent ensemble à la survie de l’espèce;
-lors d’une bagarre, aucun individu ne soumet l’autre; c’est celui qui veut la paix qui émet des comportements de soumissions inhibant ainsi l’agresseur. Le dominant «gagne» donc par défaut. Ce qui signifie que plaquer son chien au sol ne fait aucun sens. Il est impossible que cette «attaque» soit signifiante pour le chien et qu’il «comprenne» tout à coup où est sa place. Ce n’est q’une façon bien malhabile d’imposer brutalement son autorité par la peur. Et nous prêtons ainsi au chien «des habiletés à adopter la perspective d’autrui» (Udell, Wynne 2008). Le chien ne peut absolument pas deviner que nous avons l’intention de lui communiquer que nous sommes le dominant. Et nous ne pouvons prétendre qu’il a un plan en tête pour dominer notre groupe et qu’il travaille à sa stratégie. Aucune évidence scientifique n’ont à ce jour révélé de telles capacités cognitives chez le chien.
Alexandra Semyonova (2006) ajoute: «Dans plusieurs cas, l’inflexibilité des comportements humains mènent à des interactions impliquant l’agression. Et au départ, c’est l’humain qui est l’attaquant.»
Melissa Alexander note: «ces premières recherches ont pensé qu’un loup dominant forçait un subordonné dans un «Alpha Role» afin de lui démontrer sa dominance (ndlr: un décubitus latéral ou «plaquer le chien au sol»). Pas exactement. C’est plutôt un rituel d’apaisement initié par le subordonné… Il n’y a pas utilisation de force, c’est totalement volontaire. Un loup en ferait culbuter un autre contre son gré SEULEMENT s’il avait l’intention de le tuer. Vous vous rendez compte de ce que nous faisons subir à nos chiens sur le plan psychologique quand on les force de la sorte ?»
Nous ne pouvons penser que nous sommes en mesure de communiquer efficacement avec nos chiens à l’aide de ces concepts erronés. Même les chiens entre eux communiquent souvent difficilement parce qu’ils n’ont pas appris à le faire ou parce que nous avons coupé des oreilles et des queues ou même parce que nous laissons trop de poils devant les yeux !
Le chien domestique d’aujourd’hui est très très loin du loup.
Le loup que nous avons étudié ne se comporte pas comme un loup libre. Ces concepts dépassés de dominance/soumission, faut-il le rappeler, ont été élaborés avec des loups gardés en captivité.
«Les chiens sont rendus aussi loin de leurs ancêtres que nous le sommes des nôtres.» (Coppinger & Coppinger.)
Malgré tout, nous attribuons encore au chien des intentions et des comportements que les loups libres n’ont même pas entre eux:
-le soi-disant Alpha ne mange pas en premier;
-il n’est pas le leader de la meute;
-il n’occupe pas les espaces les plus élevés;
-il n’initie pas les demandes d’attention ou les jeux;
Toutes ces pseudo règles frisent le ridicule tellement elles n’existent pas dans les communautés de loups. Mais si vous adhérez toujours à ces fausses croyances, essayez d’aller dominer un loup. C’est le meilleur moyen de vous faire tuer !
Tous les comportements mentionnés dans le sondage sont des comportements appris par renforcements. Et c’est pourquoi le chien les produit de nouveau. Il apprend, comme nous, à produire les comportements qui lui rapportent quelque chose. Ceci correspond aux lois de l’apprentissage: on apprend par essais-erreurs et par associations. Si cela fonctionne, on reproduit le comportement; sinon, on essaie autre chose. Les chiens adaptent leurs comportement «en fonction des plus grandes chances de renforcements» (Udell, Wynne 2008). Dès lors, cette définition farfelue de la dominance ne s’applique pas aux chiens.
Voyons voir quels sont les «techniques» ou les «méthodes» d’entraînement que nous connaissons:
Nous pouvons en répertorier trois :
1- La méthode dite «traditionnelle».
Basée sur les punitions (les aversifs). Historiquement utilisée en contexte militaire, par la police et les maîtres-chien. Développée pour les chiens de travail. Cette approche vise à supprimer les comportements indésirables par la punition. On attends que le chien produise le mauvais comportement afin de le punir.
2- Théorie du mâle Alpha dominant dans la hiérarchie de la meute.
Dans cette théorie, le chien produit des comportements indésirables afin d’obtenir un rang supérieur dans la hiérarchie. Cette théorie nous dicte que nous devons casser son caractère et lui montrer que nous sommes le mâle Alpha en corrigeant ou en tentant de supprimer ces comportements. Basée sur la punition et l’induction de la peur.
3- Entraînement par renforcements positifs.
Cette théorie conçoit que le chien produit des comportements parce qu’ils ont été renforcés. Le chien apprend ainsi quels comportement lui rapportent et les répète. S’ils ne fonctionnent plus, il essaiera autre chose. C’est l’apprentissage par essais-erreurs (ou conditionnement opérant). On modifie les comportements indésirables en les remplaçant par d’autres qui seront renforcés.
Il faut savoir que pour augmenter ou diminuer un comportement, les lois de l’apprentissage sont très claires: un comportement renforcé va augmenter, un comportement punit va diminuer. C’est ce qui est réellement efficace si utilisé adéquatement.
L’efficacité doit-elle être le seul critère ?
Sur le plan éthique, certainement pas. Et si ces conséquences (renforcements et punitions) sont mal utilisées ? Alors, il n’y a pas d’apprentissage. Dans les cas de renforçateurs mal utilisés, on ne fait pas grand mal sinon rendre l’animal confus face à ce qu’on attend de lui et dans le cas de punitions mal appliquées et inefficaces, nous sommes en situation d’abus, de maltraitance. Pire, on sème la confusion.
Malheureusement pour le chien, les méthodes 1 et 2 sont souvent appliquées ensemble. C’est même pire lorsque les méthodes 1 et 3 sont utilisées simultanément; le chien devient alors très méfiant ne sachant pas ce qui l’attend. Ce chien n’ose plus produire de comportements.
Imaginez lorsque nous mélangeons tout ça: 1, 2 et 3 tout ensemble.
Alors ? Comment agir ?
La première chose à éviter est certainement de prêter des intentions au chien. Qu’il veuille dominer parce qu’il saute ? Dominer parce qu’il ne répond pas à une demande ?
On devrait plutôt analyser la situation pour ce qu’elle est et ne se préoccuper que du comportement. Pas des intentions (auxquelles nous n’avons pas accès!).
Nous pouvons modifier n’importe quel comportement aussitôt que nous arrêtons de penser au chien en termes de « ce qu’il est » et que nous pensons plutôt uniquement en termes de « ce qu’il fait ».
Prenons, par exemple, grogner pour «protéger» le divan ou autre chose. À ce sujet, Dr Karen Overall (1997) note: «cela n’a rien à voir avec un «statut» (ndlr: statut de dominant). Encore une fois, ce «statut» est un exemple de tentative d’explication d’un comportement avec un concept qui s’applique aux humains, pas aux chiens.»
Modifier la protection des ressources, que ce soit sur un fauteuil ou pour de la nourriture ou un jouet se fait très bien à l’aide de renforcements des bons comportements et sans jamais confronter le chien ou l’obliger à obtempérer, ce qui nuirait tellement à l’établissement d’une relation de confiance. Nous travaillerions alors en renforcements différentiels de comportements incompatibles ou alternatifs. Jean Donaldson a consacré un livre entier sur le sujet de la protection des ressources et comment modifier ce comportement. Une excellente ressource: Mine! A Practical Guide To Resource Guarding In Dogs, 2002.
Ajoutons à cette confusion que nous ne sommes pas habiletés à parler en langage chien. Ni le chien à parler en langage humain. Nous avons là un problème de communication majeure si nous ne pouvons lui enseigner adéquatement les lois de ses ancêtres qu’il devrait connaître mais qu’il ignore puisqu’il est tellement loin d’eux…
Aussi, il n’existe pas de hiérarchie à proprement parler, soit une organisation hiérarchique basé sur les rôles de chaque individu, entre espèces différentes. Exception faite peut-être pour les fourmis élevant des pucerons-esclaves… Est-ce là la relation que nous voulons avec nos chiens ?
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